Horizons étroits. Sur Horizon Europe, Nestor et le contrôle des frontières
publié le 21/04/2022 par No Cpr Torino
Qu’est-ce que Horizon Europe ?
Horizon Europe est le principal programme de financement de l’UE pour la recherche et l’innovation, avec un budget de 95,5 milliards d’euros.
Il comporte trois programmes spécifiques, l’un orienté de manière générale vers la recherche “civile”, l’autre exclusivement axé sur la recherche et le développement dans le domaine de la défense (appelé European Defence Fund – FED), et le dernier sur la recherche et la formation en matière de fusion et de fission nucléaires (EURATOM).
Avec Horizon 2020 d’abord (le programme qui, sous le titre “Défis pour la société – Des sociétés sûres – Protéger la liberté et la sécurité de l’Europe et de ses citoyens”, s’est déroulé de 2014 à 2020) et Horizon Europe maintenant (de 2021 à 2027), l’UE vise à renforcer ses capacités d’innovation et à assurer sa compétitivité mondiale.
Les projets de sécurité des frontières financés par les programmes Horizon couvrent un large éventail de capacités technologiques cruciales pour le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes FRONTEX , telles que les véhicules sans pilote, les systèmes d’identification des documents, les systèmes de numérisation d’un nombre croissant d’informations personnelles et de données biométriques, les systèmes de commande et de contrôle à distance, l’intelligence artificielle, la robotique, la réalité augmentée et les plateformes intégrées de traitement des données. Les investissements réalisés dans le domaine de la “sécurité des frontières” sont essentiels pour permettre à Frontex d’atteindre ses objectifs stratégiques. Inversement, la participation active de Frontex aux tests, aux activités d’essai et aux démonstrations d’application des technologies produites est également cruciale.
Une section spéciale du site web de Frontex publie des informations sur les activités menées par l’agence et des descriptions de projets Horizon connexes, plus glaçants les uns que les autres.
Ouvrons, par exemple, la page consacrée à NESTOR ((aN Enhanced pre-frontier intelligence picture to Safeguard The EurOpean boRders), qui traite de la réalisation de “systèmes de surveillance des frontières à longue et large portée, de suivi de la situation avant la frontière, de technologies de détection thermique, d’analyse du spectre des fréquences radio, de réseaux de capteurs interfonctionnels, d’installations fixes et de véhicules mobiles avec ou sans équipage”.
L’objectif du projet est de réaliser “un système holistique de surveillance des frontières de nouvelle génération, entièrement fonctionnel, fournissant une connaissance de la situation avant les frontières maritimes et terrestres, conformément au concept de gestion intégrée des frontières européennes. Les capacités de surveillance à longue portée et à grande échelle de NESTOR pour la détection, la reconnaissance, la classification et le suivi de cibles mobiles (personnes, navires, véhicules, drones, etc.) reposent sur des technologies d’analyse du spectre optique, d’imagerie thermique et de radiofréquence (RF) alimentées par un réseau de capteurs interopérables comprenant des installations fixes et des véhicules mobiles habités ou non (aériens, terrestres, aquatiques, sous-marins) capables de fonctionner de manière autonome, attachés ou en essaim. Le système NESTOR BC3i fusionnera des données de surveillance des frontières en temps réel avec des informations provenant du web et des médias sociaux, créant et partageant une image intelligente de la situation avant la frontière pour les centres de commandement locaux, régionaux et nationaux dans un environnement de RA interopérable avec CISE et EUROSUR”.
Les drones Elistair du système technologique Nestor détectent un “délinquant”.
Sur la page Cordis, outre les objectifs du projet, nous trouvons des informations sur le financement, la durée, les programmes auxquels il est lié Secure societies – Protecting freedom and security of Europe and its citizens mais aussi Strengthen security through border management), des informations sur le coordinateur (dans ce cas la police grecque) et les différents collaborateurs avec leurs financements respectifs. Ces derniers ne sont pas seulement les différents ministères et les forces de police, mais comprennent également la participation rémunérée d’universités et de sociétés privées de toute l’Europe, y compris l’Italie.
Dans d’autres cas, par exemple dans le projet BorderUAS, qui développe “un véhicule aérien multirôle sans pilote, plus léger que l’air, doté d’un système de détection multicapteur et de vidéosurveillance à ultra-haute résolution”, le coordinateur est une société de logiciels, tandis que des collaborateurs privés fournissent les technologies audiovisuelles spécifiques, les services d’ingénierie de télédétection, comme DIAN, ou, de manière assez inquiétante, un cadre juridique transfrontalier, comme l’ONG Mitla.
La description poursuit : “La télédétection comprendra un radar à ouverture synthétique (SAR), un système de détection et de télémétrie laser (LADAR), des caméras infrarouges à ondes courtes/longues (SWIR/LWIR) et acoustiques pour la détection directe des cibles, ainsi que des caméras optiques et hyperspectrales pour la détection indirecte/perturbée (par la végétation, par exemple)”. En ce qui concerne les collaborations étatiques, “la technologie sera testée par la police de proximité le long des passages frontaliers illégaux en Grèce, en Bulgarie, en Roumanie, en Moldavie, en Ukraine et au Belarus”.
Ce ne sont là que deux exemples de l’étroite coopération entre Frontex et de nombreux partenaires différents. Nous ne pouvons pas non plus oublier le mariage avec Israel Aerospace Industries (IAI), la principale industrie aéronautique israélienne produisant des systèmes aéronautiques civils et militaires et divers systèmes de missiles et d’avionique.
La fine ligne rhétorique qui distingue la guerre de la “défense des frontières”, les “immigrants irréguliers” des “cibles” est de plus en plus floue dans un discours public violent et sécuritaire.
Dans ce panorama de répression ordinaire, où, rappelons-le, ce sont les entreprises et les universités qui s’engraissent grâce aux somptueux financements européens, les frontières intelligentes et technologiques semblent se resserrer sans interruption et se reflètent dans ces dispositifs de contrôle qui, même dans les rues et sur les places de nos villes, créent des frontières invisibles et concrètes.
“Je fais deux pas de plus, elle fait deux pas de plus. Je fais dix pas et l’horizon s’éloigne de dix pas. Peu importe la distance que je parcours, je ne l’atteindrai jamais. A quoi sert l’utopie ? C’est à ça que sert l’utopie : à marcher.