Procès pour les faits du Brenner. Un procès politique. Quelques considérations.

Procès pour les faits du Brenner. Un procès politique. Quelques considérations.

13 septembre 2020 Non Par passamontagna

Posté le 2020/09/06 par https://oltreilponte.noblogs.org/

“Qu’est-ce qu’un homme en révolte ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il n’abandonne pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès le premier mouvement. Un esclave qui a reçu des ordres toute sa vie, trouve soudain un nouvel ordre inacceptable. Quel est le contenu de ce non ? Cela signifie, par exemple, “les choses ont duré trop longtemps”, “jusqu’à présent oui, au-delà de non”, “vous allez trop loin” et aussi “il y a une limite au-delà de laquelle vous n’irez pas”. En bref, ce non affirme l’existence d’une frontière”.

“Dans l’expérience absurde, la souffrance est individuelle. A partir du mouvement de révolte, elle a la conscience d’être collective, c’est l’aventure de tous. Le premier progrès d’un esprit intimement étranger est de reconnaître que ce sentiment d’être étranger est partagé avec tous les hommes, et que la réalité humaine, dans sa totalité, souffre de cette distance par rapport à elle-même et au monde. Le mal qu’un homme a ressenti devient un fléau collectif. Dans ce qui est notre procès quotidien, la révolte remplit la même fonction que le “cogito” dans l’ordre de la pensée : c’est la première preuve. Mais cette preuve tire l’individu de sa solitude. C’est un lieu commun qui fonde la première valeur sur tous les hommes. Je me tourne, donc nous sommes”.

Albert Camus, “L’homme en révolte”.

À maintes reprises, à l’école, au travail et sur les places, nous nous sommes demandé comment il était possible que des horreurs telles que l’holocauste, la persécution raciale, le génocide, la torture de masse, le nettoyage ethnique, etc. aient pu se produire dans le passé. Comment est-il possible que certains crimes aient été perpétrés devant tout le monde et que, dans l’anéantissement général, personne n’ait rien fait ?

Comment a-t-il été possible d’arriver à des lois raciales, à la construction, dans le cas du nazisme-fascisme, d’un système industriel pour effacer des peuples entiers de la terre ? Comment était-il possible, hier comme aujourd’hui, de permettre à des gouvernements d’entraîner des millions de personnes dans d’immenses conflits et de convaincre les masses qu’ils agissaient dans leur propre intérêt ? Comment était-il possible que personne, ou seulement quelques uns, n’aient trouvé le courage de s’opposer, souvent en payant le prix fort, alors que la majorité regardait ? Quelles sont les étapes historiques qui ont préparé le terrain, d’abord en conscience puis en réalité, par des dispositifs juridiques, à l’accomplissement de ces horreurs ? Sommes-nous sûrs qu’aujourd’hui, à l’heure où les slogans et les pratiques racistes sont systématiquement dédouanés, nous pourrions nous opposer aux mêmes injustices ? De quelle manière ?

Nous ne trouverons pas les réponses à ces questions entre les lignes d’un code pénal, celui-là même par lequel, à travers l’article 419 du code Rocco fasciste, le ministère public de Bolzano entend enterrer sous plus de 300 ans de prison 63 camarades et compagnons qui sont descendus dans les rues du Brenner en mai 2016.
Ceux qui sont descendus dans la rue au col du Brenner il y a plus de 4 ans ont été émus par la prise de conscience que le principal allié de ceux qui construisent des projets dégoulinants de sang est l’apathie et la peur du prolétariat. Il y avait une prise de conscience que ce n’est qu’avec un peu de générosité, d’élan et de décision qu’il serait possible de brouiller la tragique normalité avec laquelle la plupart des gens deviennent les spectateurs d’aberrations de toutes sortes et de démontrer comment la propagande xénophobe martelante n’a pas anesthésié toutes les consciences. Et pour ce faire, une lettre au journal, un poste sur les réseaux sociaux ou une foule éclair sous les flashs des journalistes ne pouvaient pas suffire.

Il n’est pas normal de construire un mur anti-migrants…

Il ne peut pas être normal de délibérer des invasions militaires, des guerres, des bombardements et du nettoyage ethnique.

Il ne peut être normal d’assister passivement à des massacres en Méditerranée ou à des morts sur les cols alpins.

Bien que cela relève de la compétence des avocats, il y aurait beaucoup à dire sur l’ampleur de ces plaintes déposées par des PM zélés à Bolzano, contre des manifestants accusés de dévastation et de pillage pour un défilé où le ministère de l’Intérieur a exigé (en exagérant) quelques milliers d’euros de dédommagement et où les manifestants ont été initialement accusés par les rapides alors qu’ils se dirigeaient vers les rails.

Quel est l’objectif des procureurs de Bolzano ?

C’est précisément à ce moment que le procès prend une signification politique qui peut être déduite de l’incroyable décalage entre la réalité des événements qui se sont déroulés ce jour-là et l’absurde dessein accusateur créé par le ministère public de Bolzanina, soutenu par la grosse caisse des médias, travail de fantaisie construisant un récit visant à transformer, aux yeux de la Cour et de la société en général, une journée de lutte contre le mur et les politiques racistes en une journée où un groupe organisé de vandales se retrouve au col du Brenner pour détruire le charmant village du col, car ils n’ont rien d’autre à faire.

Le but qu’ils se fixent est d’intimider, de punir et d’isoler, par une punition délibérément disproportionnée, ceux qui ont encore la force, le courage et la détermination de lutter contre un système social et économique qui vit de la guerre, du racisme, de l’exploitation des personnes et de l’environnement.

Le même vieux jeu de la pire répression de toutes les époques : ignorer le contexte social et politique dans lequel un fait a mûri et qui ramène à une déviance atavique le comportement de ceux qui sont descendus dans la rue ou de ceux qui ont violé, pour une raison quelconque, la loi. Suivant ce schéma rhétorique, si les prisonniers d’une prison ou d’un camp de concentration pour immigrés se rebellent, ce n’est pas à cause de la souffrance, de la surpopulation, du manque de soins ou de nourriture décente, mais c’est la faute d’instigateurs fantômes ou de prétendus dirigeants. Avec le même schéma, les tribunaux fascistes ont condamné les opposants politiques à la dictature, à ses guerres et à ses lois raciales, les tribunaux américains ont condamné les militants noirs qui se sont rebellés contre la ségrégation raciale et les tribunaux turcs ont condamné les Kurdes et les Turcs qui se sont opposés aux projets bellicistes d’Erdogan. La loi, hier comme aujourd’hui, sert à maintenir le statu quo et exprime les rapports de force entre les classes sociales. À cet égard, les demandes de condamnation des procureurs de Bolzanin en sont la démonstration la plus frappante. Pourquoi se rebeller alors que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles ?

Demander 338 ans de prison pour une manifestation collective dans laquelle 8000 euros de dommages et intérêts ont été contestés est déjà en soi hallucinant, mais ce qui doit nous faire réfléchir, c’est la facilité avec laquelle certains hommes togués peuvent le faire, car ils se sentent en droit de le faire, pris par une sorte de délire de toute-puissance. C’est une dangereuse tentative de criminaliser la dissidence, et elle vise à abaisser et à diminuer la tolérance du pouvoir envers toute manifestation de colère des opprimés ou de ceux qui prennent parti. Ces dernières années, en effet, d’innombrables procès ont été intentés dans toute l’Italie contre des camarades et des compagnons, notamment des anarchistes, pour des manifestations de rue ou des délits associatifs. En outre, la répression, forte aussi des instruments fournis par Salvini et le mouvement 5 étoiles avec les décrets de sécurité I et II, est féroce contre les travailleurs les plus combatifs, comme les travailleurs de SiCobas, protagonistes de luttes très dures et gagnantes, en plus d’être l’objet privilégié de la répression de la police et de la justice, comme le démontre le maxiprocesso contre 400 travailleurs coupables d’avoir fait grève, qui se tiendra bientôt à Modène.

Dans un flyer publié sur la page Facebook, Bolzano Antifascist a été écrit :

“Des centaines de camarades et de compagnons sont descendus dans les rues du Brenner, il y a 4 ans, pour briser l’indifférence et l’inertie avec lesquelles trop de gens acceptent maintenant tout, même les pires injustices, sachant que la marche symbolique ne suffirait pas. Des centaines de camarades et de compagnons ont assumé une responsabilité, et ont voulu briser la tragique normalité avec laquelle certaines décisions sont prises, comme les guerres, les bombardements ou l’éventuelle construction d’un mur séparant deux populations, murs qui n’appartiennent pas au passé, comme voudraient le faire croire ceux qui ne font que célébrer la chute du mur de Berlin, mais constituent un présent tragique : du mur entre Israël et les territoires palestiniens occupés au mur entre le Mexique et les États-Unis, du mur entre la Turquie et la Syrie aux barrières entre la Serbie et la Hongrie. Les murs et les fils barbelés produisent la mort, la peur, la haine et le racisme. Des centaines de camarades ont voulu briser la médiocre apathie avec laquelle la majorité de la population vit et apprend les décisions gouvernementales les plus inacceptables, par le biais d’un écran de télévision ou simplement en commentant un post inutile sur Facebook”.

Il est important, aujourd’hui plus que jamais, de se souvenir et de réaffirmer, au-delà de toute instrumentalisation et mystification, l’esprit qui a conduit des centaines de camarades à manifester au Brenner ce jour-là.

Les prochaines audiences du procès pour les événements du col du Brenner auront lieu le 11 septembre, où il sera possible de faire des déclarations individuelles et collectives spontanées, les 2 et 9 octobre, toujours à 10 heures.

Ne laissons pas nos camarades et compagnons seuls dans le procès.