Contestation et expulsion : les engrenages de la société de l’exclusion

Contestation et expulsion : les engrenages de la société de l’exclusion

8 décembre 2021 Non Par passamontagna

Publié le 06/12/2021 par hurriya

Alors que nous rassemblions les pièces pour cet article, la réalité a pris le dessus sur les atrocités que nous nous apprêtions à raconter : Abdel Latif, un jeune homme originaire de Tunisie, a été tué le 28 novembre, après trois jours d’immobilisation mécanique à l’hôpital San Camillo de Rome.
Le racisme d’État est tentaculaire et, en Italie, Abdel Latif a connu la ségrégation dans un hotspot à Lampedusa, l’emprisonnement sur un bateau de quarantaine, l’enfermement dans le centre d’expulsion de Ponte Galeria à Rome et la contention dans le service psychiatrique de San Camillo.

Deux des emprisonnements qui ont conduit à la mort d’Abdel Latif ont pour toile de fond le système de santé italien, pour le reste il y a les acteurs de l’accueil humanitaire.

Les récentes mobilisations contre la contention psychiatrique nous ont suggéré des réflexions et nous avons cherché des informations sur le débat sur la contention mécanique, une pratique que l’État déclare vouloir abolir avec un parcours de trois ans qui devrait se terminer en 2023.
Il convient de noter que, dans les mêmes documents institutionnels, les évaluations partent de données et de notes remontant à 2001 et que les mêmes analyses débouchent sur des “recommandations” et des “suggestions” qui, depuis lors et après 20 ans, n’ont eu aucun effet pratique : les gens continuent de mourir dans la violence.

Chaque document institutionnel est contraint de prendre en considération la violation des libertés individuelles, la torture, l’inefficacité en termes d’amélioration des conditions de santé et l’aggravation de la situation de la personne soumise à une contrainte mécanique jusqu’à son décès. Les protocoles qui partent du principe que “ce n’est pas un acte sanitaire, ni un acte médical, n’ayant aucune finalité thérapeutique, diagnostique ou de soulagement de la douleur”, confirment “la nature violente des soins psychiatriques” et l’augmentation de la stigmatisation sociale pour ceux qui ont des difficultés, mais aujourd’hui il n’y a aucun contrôle de ces pratiques de torture dans les établissements psychiatriques (et encore moins dans les prisons, les RSA ou les CRA).
Dans le passé déjà, un registre a été suggéré, et non imposé, pour garder trace des raisons, des modalités et du moment de chaque contention.
Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour croire que tout se fait par la violence physique, la sédation et l’abandon, car les partisans de la contention mécanique estiment que le danger pour la sécurité du personnel de santé et le manque de personnel sont de bonnes raisons de torturer et de tuer des gens.
Des convictions que les institutions n’ont même pas la possibilité de comparer à d’autres établissements de santé qui n’utilisent pas la contention mécanique, car le pouvoir discrétionnaire est immense et non contrôlé.

Dans les lignes directrices que l’État déclare vouloir adopter pour surmonter la contention mécanique, outre la formation du personnel, il est question de transparence et d’accessibilité aux affections et aux membres de la famille des personnes détenues dans des établissements psychiatriques, car une partie de la contention consiste en un enfermement.
Or, si l’on considère la dernière personne tuée par la contrainte, cette proximité affective aurait probablement été impossible de toute façon, étant donné les frontières blindées.
Nous ne sommes certainement pas les premiers à savoir que le contrôle psychiatrique – par l’administration forcée, volontaire et involontaire de médicaments psychotropes – affecte la vie des personnes détenues dans les centres de déportation. [Voir également 1 ou 2].

Les détenus ont toujours dénoncé la présence de psychotropes dans leur alimentation et ces mêmes médicaments comme le seul “remède” proposé en plus de la tachipirine : une brochure récemment publiée par nocprtorino.noblogs.org résume la gestion sanitaire actuelle dans les CPR (CRA) et fait clairement référence au contrôle psychiatrique.
Dans le passé, nous avons également fait état d’injections forcées de psychotropes dans le CPR de Ponte Galeria et un procès intenté par la coopérative Auxilium a conduit à la saisie préventive de la page qui rapportait l’article : mais quels autres aspects du contrôle psychiatrique concernent la violence à laquelle sont soumis les immigrants ?

Outre les sédatifs, la contrainte mécanique est utilisée dans les procédures d’expulsion dans de nombreux pays européens et non-européens.
Des liens en plastique, du ruban adhésif pour lier les mains, les pieds et la bouche, des casques, des ceintures, des chaises avec des liens… un inventaire glaçant qui a conduit à la mort de plusieurs personnes, certaines connues pour avoir manifesté par la suite, comme Semira Adamu – tuée avec un oreiller sur le visage sur un vol AirFrance alors qu’elle était expulsée de Belgique vers le Nigeria – et Jimmy Mubenga – étouffé sur un vol britannique d’expulsion vers l’Angola.

Conclusions

Les mobilisations contre la contention mécanique décrivent clairement la tendance réformiste à cacher la violence psychiatrique et le danger de son remplacement par une contention plus pharmacologique dans un pays convaincu que les électrochocs et les asiles appartiennent au passé.

Alors que la délégation du garant, qui est entrée à Ponte Galeria, se dit prête à clarifier les causes de la mort d’Abdel Latif et demande si la contention conduit à la mort, nous pensons que la clarté est déjà là.
Tout le monde meurt d’un “arrêt cardiaque”, mais la stigmatisation et la criminalisation conduisent à l’isolement et, en l’absence de relations, à l’absence de tout traitement.

Nous savons, grâce aux voix et aux récits des personnes concernées, que ce sont les mêmes mécanismes de contrôle des frontières, puis les mêmes lieux institutionnels de ségrégation et d’isolement (navires, hotspots, centres d’accueil, CPR, services psychiatriques) qui créent les conditions d’une grande souffrance psychologique. Le stress de ne pas pouvoir partir pour améliorer sa vie, de devoir trouver des milliers d’euros pour payer un voyage, avec la responsabilité de ne pas décevoir sa famille et ses amis et l’espoir d’envoyer de l’argent chez soi rapidement, la peur lors d’une traversée où l’on risque sa vie et où l’on voit ses compagnons mourir, tout cela crée une immense souffrance, la torture dans les lagers, et à l’arrivée en Italie, alors que vous pensiez avoir réussi, d’autres procédures rendues encore plus incompréhensibles parce que dans une autre langue, d’autres prisons et violences, dans un isolement absolu, comme dans le CPR où vous ne pouvez même pas entendre la voix de vos proches par téléphone.

Les tentatives de protestation contre ce système inhumain sont souvent réprimées pour des raisons de santé, les personnes qui réclament la liberté étant étiquetées comme des fous devant être soumis à un traitement médical obligatoire et à une contention.

Il ne doit pas y avoir de silence face à une nouvelle tuerie.