DU ROYAUME-UNI AU DANEMARK : LA EXTERNALISATION DES DEMANDES D’ASILE AU RWANDA

DU ROYAUME-UNI AU DANEMARK : LA EXTERNALISATION DES DEMANDES D’ASILE AU RWANDA

14 mai 2022 Non Par passamontagna

Le 14 avril 2022, le Royaume-Uni, en la personne du ministre de l’Intérieur Priti Patel, a signé un accord avec le Rwanda, le “Partenariat pour la migration et le développement économique“. C’est-à-dire : de l’argent et des investissements en échange de l’externalisation de milliers de demandes d’asile. 120 millions de livres par an (environ 144 millions d’euros) seront versés par le Royaume-Uni aux autorités rwandaises pour gérer et cacher les milliers de personnes qui débarquent “illégalement” sur les côtes britanniques. Parallèlement à ce plan, le Premier ministre britannique, M. Johnos, a annoncé un investissement supplémentaire de 50 millions de livres sterling pour renforcer les patrouilles à ses frontières, et qu’il allait également déployer la marine – la Royal Navy – “pour patrouiller dans la Manche contre l’immigration illégale”.
L’externalisation des frontières, de part en part, n’est pas nouvelle. Pendant des années, le gouvernement britannique a cherché un État pour expulser les immigrants dont il ne voulait pas. Elle avait essayé avec l’Albanie, avec le Ghana. En vain. Il y a un mois, l’accord. Cette semaine même, l’Angleterre a annoncé que bientot aurait lieu le premier vol de déportation vers le Rwanda d’au moins 50 demandeurs d’asile.

Non seulement les Rwandais, mais toute personne en situation irrégulière au regard de la “loi” britannique pourrait être expulsée vers le Rwanda ; il n’est même pas nécessaire qu’elle ait traversé ce pays pour se rendre en Europe. Toute personne qui n’est pas acceptée par le Royaume-Uni, et potentiellement de n’importe quelle nationalité, peut donc être envoyée au Rwanda ; de cette façon, les pactes bilatéraux avec tous les pays d’origine des personnes émigrées ne seront même plus nécessaires, ni l’argent et les armes qui sont normalement accordés par les pays européens aux gouvernements africains ou asiatiques pour qu’ils acceptent des accords de rapatriement de leurs concitoyens ; toutes les personnes “étrangères” peuvent être envoyées au Rwanda, même si elles n’ont jamais traversé cette terre.

Le Danemark tente immédiatement de reproduire le système britannique et les négociations avec le gouvernement rwandais sont, selon les termes du gouvernement danois, “bien avancées”.

En pratique, selon les mots du Premier ministre, tout.E.s les migrant.E.s (selon certains journaux, il ne s’agira que d’hommes adultes sans famille) arrivés à partir du 1er janvier 2022 dans des embarcations de fortune pourront être expulsés vers le Rwanda pour traiter leur demande d’asile, et même si celle-ci est approuvée, le retour au Royaume-Uni n’est pas envisagé. Les personnes seront autorisées à rester sur le territoire rwandais conformément à la loi du pays.

Le texte du protocole d’accord est le suivant : “étant donné que les migrants et les réfugiés effectuent des voyages périlleux à travers les frontières et même les océans à la recherche de sécurité et d’opportunités économiques, fuyant les conflits armés, la famine, le changement climatique et d’autres difficultés dans leurs pays d’origine, et que les mouvements massifs de migrants irréguliers organisés par les passeurs de clandestins submergent le système d’asile international” et souhaitant donc “contrer le modèle commercial des passeurs de clandestins”, protéger les plus vulnérables, gérer les flux de demandeurs d’asile et de réfugiés et promouvoir des solutions durables“, il est convenu entre les deux États de mettre en place un “mécanisme de relocalisation des demandeurs d’asile dont la demande n’a pas été examinée par le Royaume-Uni, au Rwanda, qui examinera leur demande et réinstallera ou expulsera (selon le cas) les personnes après qu’il aura été statué sur leur demande, conformément au droit interne rwandais“.
M. Johnson a souligné que l’accord avec le pays africain ne prévoit aucune limite de nombre et que le Rwanda “a la capacité d’accueillir des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir“.
Cet accord intervient après 2021, lorsque plus de 28 000 personnes ont traversé la Manche dans des moyens de fortune au Royaume-Uni. En 2020, il y en avait un peu plus de 8 000.

Le racisme et l’opportunisme britanniques sont les mêmes que ceux de l’Union européenne : le Royaume-Uni ouvre ses portes aux réfugiés ukrainiens et expulse ceux qui, par leur race, leur religion et leurs compétences économiques, ne sont pas “intéressants” et exploitables pour le pays.

Le Rwanda, un pays connu pour la violation systématique des soi-disant “droits de l’homme” avec des tortures et des détentions sans fin, où en 2018 une douzaine de réfugiés ont été tués par la police rwandaise après des manifestations devant le siège du HCR à Kigali, est pour sa part bien content de recevoir des millions d’euros des différents gouvernements européens et aussi d’avoir des milliers de personnes “exploitables” dans son économie en expansion.
Les accords entre le Royaume-Uni et le Rwanda ressemblent beaucoup à des politiques néocoloniales ; le Rwanda, en l’occurrence, possède non seulement une industrie minière d’étain, d’or, de tungstène et de minerais de méthane, mais il abrite également le lac Kivu, extrêmement riche en gaz et source potentielle de production d’électricité.

Autres cas d’externalisation des frontières

Le modèle britannique copie les tactiques meurtrières et dissuasives du gouvernement australien qui, depuis 2001, s’est arrogé le droit de détenir les migrants “irréguliers” et de les transférer dans des installations éloignées établies par le gouvernement dans des pays tiers, comme le centre de détention de l’île papoue de Manus et celui de Nauru.
Les réfugiéssont détenus indéfiniment dans ces centres, sans possibilité de recours devant un tribunal, en attendant que leur demande d’asile soit traitée par un “procès à distance”.

Autre exemple, Israël, qui depuis le début de l’année 2018, a commencé à expulser des immigrants soudanais, érythréens et éthiopiens vers l’Ouganda et le Rwanda, en échange d’argent. Environ cinq mille dollars par réfugié,selon des ONG. Nous parlons de plus de 40 000 personnes relogées en peu de temps.

Le Danemark, après la loi votée en juin 2021, a complètement fermé ses frontières aux demandeurs d’asile, et a commencé la recherche – peut-être maintenant terminée – d’un pays où expulser les migrants dont il ne veut pas, mais aussi où laisser ceux qui obtiendront le statut de réfugié, qui de toute façon ne seront pas réadmis au Danemark.

L’Union européenne, bien que condamnant en paroles la nouvelle loi britannique, va exactement dans la même direction. Depuis des années, elle cherche des pays vers lesquels elle peut externaliser les demandes d’asile, et le Niger voudrait être le futur pays vers lequel elle enverra tous les migrants que l’UE rejette sans avoir à passer par des accords bilatéraux de rapatriement et aussi celui où l’UE voudrait que les demandes d’asile soient traitées.

Le HCR lui-même, malgré ses critiques à l’égard du gouvernement de Johnson, ” évacue ” des migrants de Libye vers le Rwanda depuis 2019, les transférant des centres et des prisons libyens en vue de ” solutions ultérieures “, notamment la réinstallation, le retour volontaire dans les pays d’asile antérieur, le retour volontaire dans les pays d’origine ou l’intégration locale au Rwanda.

Même opportunisme, même dégoût.

Contre chaque état, contre chaque frontière.