LE DANEMARK EXTERNALISE LA PRISON POUR LES DÉTENUS ÉTRANGERS AU KOSOVO

LE DANEMARK EXTERNALISE LA PRISON POUR LES DÉTENUS ÉTRANGERS AU KOSOVO

16 mai 2022 Non Par passamontagna

On externalise les frontières. On externalise les prisons.

On chasse les immigrants, on chasse les indésirables. Ceux qui ne servent pas le système, les “inutiles”, les damnés de la terre. Loin des yeux, loin du cœur. Différencier, sélectionner, punir. C’est la politique danoise, en accord avec la politique européenne. Mais qui vient de franchir une nouvelle étape.

Le Danemark ouvre une “colonie pénitentiaire” au Kosovo. 300 places pour les migrants, ou plutôt les immigrants condamnés pour un crime au Danemark, à partir du premier semestre 2023. C’est le résultat de l’accord signé mercredi 27 avril 2022 entre Copenhague et Pristina sur lequel les gouvernements des deux pays travaillaient depuis des mois (un premier accord avait été signé en décembre 2021). 15 millions d’euros par an, pendant 5 ans, renouvelable pendant 10 ans. Plus une avance de 5 millions d’euros pour la rénovation des centres de détention du Kosovo. Et 6 millions d’investissements dans la “transition écologique”.

Après la loi de 2021 sur l’externalisation des demandes d’asile, qui cherche maintenant à être mise en œuvre avec le Rwanda, voici le pacte d’externalisation de la détention des migrants. Différenciation dans la différenciation, sélection et exclusion dans les déjà exclus. Diviser même les détenus sur la base de leur nationalité et du morceau de papier qu’ils ont ou n’ont pas.

Dans la rhétorique danoise, les raisons sont la surpopulation carcérale et la diminution des gardiens ; depuis 2015, la population carcérale a augmenté de 19%, passant de 3400 à 4200, tandis que le nombre d'”agents correctionnels” – les flics – a chuté de 2500 à 2000. Le gouvernement prévoit de réformer l’ensemble du système pénitentiaire et a alloué à cet effet 6 milliards de couronnes, soit environ 538 millions d’euros. Mais ce n’est pas tout. “Le Danemark envoie également un signal clair aux étrangers condamnés à l’expulsion : votre avenir n’est pas au Danemark, donc vous ne purgerez pas votre peine ici non plus“, a expliqué ces dernières semaines Nick Haekkerup, jusqu’à il y a quelques semaines ministre danois de la Justice. L’intention a toujours été la même, depuis des années : décourager les migrants de se rendre au Danemark, et punir de manière ” exemplaire ” ceux et celles qui s’y trouvent déjà. Encore plus ceux qui ont osé s’opposer à la loi danoise.

L’un des avantages de cette mesure est que (les prisonniers) n’auront pas besoin d’être resocialisés pour retourner dans la société, car ils ne devront pas être au Danemark par la suite. Nous pouvons donc déplacer tout le groupe pour qu’il serve ailleurs“, a-t-il déclaré à la radio danoise Hækkerup.

Le “schéma” danois est limpide et mis en pratique depuis plusieurs années (en 2018, le gouvernement précédent a envisagé de confiner les prisonniers sur l’île inhabitée de Lindholm, une sorte d’Alcatraz scandinave : un projet qui a ensuite été annulé “en raison de coûts excessifs”).

Entre 2020 et mi-2021, le Danemark a révoqué, ou n’a pas renouvelé, les permis de séjour de quelque 400 réfugiés syriens, allant jusqu’à affirmer que : “la guerre civile en Syrie est maintenant dans sa phase finale et Damas est un endroit sûr“.

Le nombre de réfugiés demandant l’asile au Danemark n’a cessé de diminuer ces dernières années (de plus de 11 mille demandes en 2015 à 342 au premier semestre 2021), et c’est précisément en raison du ” succès ” de la stratégie que la vie continue d’être rendue difficile et inconfortable pour les immigrants avec des lois ad hoc. Comme celle votée en septembre dernier pour obliger les migrants à travailler au moins 37 heures par semaine s’ils veulent continuer à bénéficier des subventions de l’État. La règle doit encore être approuvée par le Parlement. Ou comme la loi, votée en 2016, qui a autorisé la confiscation des bijoux et des biens de plus de 10 mille couronnes (1350 euros) des migrants, pour couvrir les frais d’accueil.

Nous on deteste les prisons, quels que soient l’État et le drapeau auxquels elles appartiennent, soyons clairs.

Mais nous tenons à souligner la violence d’envoyer les prisonniers qui seront concernés par ce pacte à des milliers de kilomètres de leurs amis, de leur famille et de leurs compagnons.

La prison choisie est celle de Gjilan, à environ 50 km de Pristina. Un pays de nulle part, où les détenus n’auront pas la possibilité de s’entretenir avec un avocat en qui ils ont confiance, où ils n’auront plus de contact avec leurs familles et leurs amis – qui n’auront que “quelques difficultés” à rendre visite à leurs proches à des milliers de kilomètres de là -, où ils ne sauront même pas quelles règles, kosovares ou danoises, seront appliquées à la prison, où ils ne sauront même pas dans quelle langue ils pourront s’adresser aux gardiens et au personnel pénitentiaire.

Le Kosovo, quant à lui, est très satisfait des investissements et de l’argent danois, et considère l’accord comme une bonne présentation du “partenaire fiable” aux pays de l’UE, étant donné son ambition de rejoindre l’UE.

Autres exemples d’externalisation de prisons

Un accord similaire (hormis la distinction entre détenus immigrés et non immigrés) a été conclu entre la Belgique et les Pays-Bas en 2010 pour permettre à la première d’utiliser une prison sur le territoire néerlandais, à une trentaine de kilomètres de la frontière entre les deux États, pour faire face à une situation de surpopulation, qui a pris fin en 2016 avec la mise en service de nouveaux établissements en Belgique. L’ensemble de l’opération s’est déroulée sous les auspices du Conseil de l’Europe et du CPT.

Un autre accord temporaire avait été conclu entre la Norvège et les Pays-Bas en 2015 avec la mise à disposition d’une prison aux Pays-Bas, toujours pour faire face à une surpopulation temporaire : en 2018, le bail a pris fin et les détenus ont été renvoyés dans des installations en Norvège.

Nous sommes maintenant à l’union de l’externalisation des frontières et des prisons.

En ces temps de covid, de guerre, de dépression économique et de terrorisme médiatique permanent, les différents gouvernements adoptent des lois et légitiment des dynamiques auparavant presque impensables, dont nous ne nous détournerons pas. Ces pratiques d’externalisation qui progressent rapidement ne sont qu’un élément d’une dynamique plus vaste et très dangereuse contre laquelle nous devrions concrètement commencer à nous organiser.

Contre chaque prison, contre chaque frontière !